[ Gernot Rohr et Marc Keller, regards croisés]

   
 

Gernot Rohr / Marc Keller
   
 

Né à Mannheim (Bade-Wurtemberg), Gernot Rohr (52 ans) est le plus français des footballeurs allemands. Après avoir fait ses classes aux Kickers Offenbach et au Bayern Munich, ce rugueux défenseur arrive à Bordeaux en 1977. Il y fera toute sa carrière. Devenu entraîneur, il a notamment dirigé les Girondins de Bordeaux (avec lesquels il joue une finale de C3), l'OGC Nice, club à la tête duquel il passe trois saisons riches en émotions, du quasi-décès du club, sauvé in extremis en juillet 2002 à une piteuse élimination en Coupe de France à Nîmes (0-4), en passant par l'improbable épopée de la bande à Cobos, Everson et Diawara, équipe montée au dernier moment et qui caracola en tête de la Ligue 1 médusée treize journées durant à l'automne 2002. Il se trouve aujourd'hui à la tête des Young Boys de Berne (Suisse).

Ancien attaquant international, Marc Keller (37 ans) occupe aujourd'hui les fonctions de manager sportif du Racing Club de Strasbourg, aussi consternant cette saison en Ligue 1 qu'il paraît imbattable en Coupe d'Europe. Passé par le Karlsruhe SC, il connaît bien le football allemand. Les deux hommes ont répondu à nos questions.

Vous avez exercé votre activité de footballeur en France et en Allemagne, et vous continuez, en tant que manager, d'être un observateur attentif de ce sport dans les deux pays. Quelles sont selon vous les points communs et les différences entre le football allemand et le football français ?

Gernot Rohr : Le football allemand avait autrefois une plus grande puissance économique et sociale. La donne financière a évolué, notamment grâce à l'implication de Canal +. La France a rattrapé une grande partie de son retard à ce niveau.

Marc Keller : Sur le plan du jeu, le football allemand est plus ouvert et plus orienté vers l'offensive. On marque en Bundesliga plus de buts qu'en championnat de France, où les matches sont plus "tactiques".

Quelles différences relevez-vous au niveau de la gestion et du management des clubs ?

Gernot Rohr :
La différence est minime. L'Allemagne avait du retard en matière de détection des jeunes footballeurs, ainsi que dans la formation des éducateurs. Dans tous ces domaines, l'Allemagne est en train de rattraper son retard…

Marc Keller : Les clubs allemands sont des modèles en matière d'organisation. Chacun sait ce qu'il a à faire, les rouages sont parfaitement huilés. Les infrastructures sont également à citer en exemple. De mon passage à Karlsruhe, j'ai gardé de nombreux contacts et, même si je n'étais que joueur à l'époque, j'ai beaucoup appris en vue de ma future carrière de dirigeant.

Dans lequel des deux pays l'engouement populaire vous paraît-il le plus fort ? Les choses ont-elle évolué dans ce domaine, et dans quel sens, ces dernières années ?

Gernot Rohr : La culture du foot reste encore supérieure en Allemagne. Le football y est une tradition établie de plus longue date qu'en France. Le riche palmarès de l'équipe nationale joue également beaucoup. Surtout, l'absence de concurrence du rugby favorise la domination populaire du football. Il n'y a pas chez nous de deuxième grand sport collectif, comme c'est le cas en France. Même si le handball est très développé en Allemagne, ce n'est pas un sport de plein air capable de déplacer de grandes foules.

Marc Keller : Il suffit de regarder le nombre de spectateurs dans les stades de Bundesliga chaque semaine pour apporter une première réponse. La moyenne est de 40 000 spectateurs par match, contre 21 ou 22 000 en France. Contrairement à la France, l'Allemagne a pleinement profité de la Coupe du monde pour construire de nouveaux stades, plus grands et plus modernes. Le mouvement avait été moins marqué en France au moment du Mondial 1998. Nous nous étions le plus souvent contenté de rénover les enceintes existantes.

Les affrontements France-Allemagne ont longtemps symbolisé la confrontation de deux approches du football, et de deux styles de jeu opposés (rigueur et densité physique allemande contre créativité et technique française). Cette antagonisme vous paraît-il encore d'actualité ?

Gernot Rohr : Il y a toujours un fond de vérité dans cette comparaison. A l'époque de la Coupe du monde 1982 et du fameux match de Séville, on en ressentait toute la force. A l'époque, nous étions trois Allemands à jouer aux Girondins de Bordeaux. Je me souviens que pendant des mois, nous nous faisions copieusement insulter sur tous les stades. Ca avait mis du temps à se calmer, car le public nous identifiait à Harald Schumacher et aux "méchants Allemands", qui avaient brisé le rêve français. Ces temps sont aujourd'hui révolus, et les choses ont de plus en plus tendance à se rapprocher d'un pays à l'autre. Chacun essaie de copier chez le voisin ce dont il estime manquer. Regardez les équipes de club, leur exemple est révélateur. Le Bayern incorpore de plus en plus d'éléments latins dans son effectif, qu'il s'agisse de Français (comme Bixente Lizarazu, Willy Sagnol ou Valérien Ismaël) ou de Sud-Américains. Cette équipe, comme d'autres, cherche le juste équilibre entre son identité germanique et les apports extérieurs. La clé du succès est là !
Les footballeurs allemands, hormis Michael Ballack, sont moins recherchés qu'il y a une vingtaine d'années. La France, qui dispose depuis longtemps d'un système de formation moderne, compte aujourd'hui davantage de grands joueurs !

Marc Keller : Il convient de relativiser cet antagonisme. A l'époque de la grande équipe allemande, dans la première moitié des années 90, les joueurs étaient également très créatifs. Lothar Matthaus, Thomas Hässler, avec lequel j'ai eu la chance de jouer sous le maillot de Karlsruhe, ou encore Matthias Sammer étaient des footballeurs extrêmement doués. Je crois qu'il ne faut jamais juger le football d'un pays sur une seule génération.

A cinq mois de la Coupe du monde 2006, comment analysez-vous les chances respectives de la Mannschaft et des Bleus ?


Gernot Rohr : Les deux pays ont donc une excellente carte à jouer ! Après une qualification difficile, comme ce fut le cas pour la France, suit souvent une bonne Coupe du monde. Et après des matches amicaux encore plus laborieux, comme c'est le cas pour l'Allemagne, le même cas de figure se produit régulièrement. J'adorerais assister à une finale entre les deux sélections. Si c'est le cas, je n'aurai qu'une phrase : que les meilleurs gagnent !

Marc Keller : En termes de qualité pure, les Allemands ne partent pas favoris. Mais le fait d'évoluer à domicile va les avantager, comme ce fut le cas pour la France en 1998. Quant aux Bleus, leur parcours dépendra grandement de la forme physique des joueurs. S'ils n'arrivent pas à la Coupe du monde complètement épuisés, tous les espoirs sont permis.


Propos recueillis par notre envoyé spécial à Choucroutland: Patrick Juillard

 

Retour