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- « Bon, les enfants, maintenant, on se calme et l’on écoute
les consignes de sécurité.
On reste groupés. On n’embête pas les gens sur la plage.
On reste bien à l’intérieur du périmètre
installé dans l’eau. Les garçons, vous arrêtez
d’embêtez les filles en les balançant à la flotte.
Vous attendez que je donne le signal pour aller vous baigner et …
OOOUUAAIIS … YYYEEAAHH … SPLACH … PLOUF … SPLACH
… PLOUF
Cela faisait une semaine, en ce mois de juillet 1974, que nous étions
en colo de vacances, dans les Côtes d’Armor.
Et chaque fois, le « mono » n’avait pas le temps de
terminer sa phrase qu’une bande de barbares gueulards se précipitait
dans la grande bleue, pour y mener à bien de louches desseins …
En l’occurrence rencontrer ceux de ses congénères
féminines, lors de « fortuites rencontres subaquatiques »
… héhéhéhéhé …
10 ans à peine … mais cela « nous travaillait »
déjà au plus profond de nous …
- « Ben ???? Vous n’allez pas vous baigner les gars aujourd’hui
?? » nous lança le moniteur.
Oh non, aujourd’hui pas question. La découverte sous-marine
du beau sexe serait remise à plus tard.
Nous étions une vingtaine agglutinés autour de Bouboule,
un fort en gueule et biceps confondus.
La plupart d’entre nous avaient suivi les 3 premières semaines
de compétition de ce Weltmesterschaft 74 grâce aux bons offices
de l’ORTF. Et alors que l’on arrivait au
dessert, nos perfides parents nous envoyaient en colonie « pour
respirer le bon air de la mer avec la promesse qu’on se ferait plein
de bons camarades et que l’on s’amuserait bien ».
Putain … fais chier … c’est nullllllll là-bas
… z’ont même pas la Télé … fini
pour nos juvéniles regards les arabesques de nos chers Oranges
Mécaniques …
HEUREUSEMENT, le dénommé Bouboule avait la parade pour nous
recordombilicaliser à notre passion : SON TRANSISTOR !!
Humilité : Etat d’esprit, attitude de quelqu’un qui
est humble, se considère sans indulgence, est porté à
rabaisser ses propres mérites.
Pour en avoir été dénué, les hommes de Rinus
Michels en ont payés chèrement le prix lors de cette finale
face au pays organisateur : la RFA.

Ah Johan … Johan … comme le chantait Catherine Lara :
« Qu'est-ce que tu fous de ta vie, Johan?
On était fous de la vie.
On aurait pu être davantage,
mais c'est comme ça, tant pis, c'est dommage. »
Oui, nous étions fous de Johan Cruyff et de sa bande de rockers
chevelus, depuis qu’ils nous enchantaient sur tous les terrains
de foot, que ce soit en orange avec la sélection batave ou en rouge
et blanc avec l’Ajax depuis 4 ans.
Après quelques matchs démonstration*, le grand jour arriva
ce dimanche 7 juillet.
Un p’tit moloko derrière la cravate et Johan et ses drougs**
nous « remakeraient » le massacre d’un certain 1/4 de
finale disputé 1 an auparavant***.

Comment pourrait-il en être autrement ?
Qui peut résister à ce football total ou tout le monde attaque,
tout le monde défend.
La rigidité et le jeu on ne peut plus stéréotypé
des hommes d’Helmut Schoen ne fera pas le poids face à nos
Rolling Stones qu’on croirait échappés de Woodstock
.
Certes, les Allemands sont les champions d’Europe en titre depuis
2 ans****
Bien sûr, la plupart des internationaux d’outre-Rhin viennent
tout juste de remporter la C1 face à l’Atletico Madrid (1-1
& 4-0)(Photo 3)…mais qui pourrait croire un instant que la Manschaft
puisse enlever à la barbe de nos rock’n’roll stars
cette coupe du monde qui leur tend les bras ?
Les médias Allemands tenteront bien de déstabiliser les
Pays-Bas en « affirmant » une histoire d’adultère
concernant leur meneur de jeu, mais rien n’y fait pour ébranler
le moral et surtout la présomption des joueurs Hollandais.
Déjà, au moment des hymnes, la décontraction des
Oranges contraste avec les visages tendus et impassibles de leurs adversaires.
Poignée de main teintée de respect entre les 2 capitaines…se
connaissent bien ces deux-là…

Dans le rond central, Cruyff se marre ouvertement avant de donner le coup
d’envoi.
Les faits leur donnent raison quand après seulement 1 minute de
jeu, l’arbitre Anglais M.Taylor siffle un penalty en leur faveur,
suite à une faute de Hoeness consécutif à une percée
de notre cher Johan, qui laisse sur place Berti « Fox-Terrier »
Vogts collé à ses basques…alors que les Allemands
n’ont toujours pas touché le ballon.

L’artificier maison Neeskens transforme sans coup férir et
voilà DEJA la Hollande nantie d’un but d’avance…c’est
ce qui précipitera leur fin.

A compter de cet instant, Overath et ses copains vont réellement
rentrer dans le match et petit à petit, insidieusement, vont maîtriser
la balle durant toute la première mi-temps.
L’arrière-garde Hollandaise commence à devenir nerveuse…faut
dire que Grabowski et Holzenbein, sur leurs ailes respectives, s’engouffrent
dans de véritables boulevards.
Les accrochages se multiplient. Rijsbergen balance Gerd Müller dans
la surface sans que l’arbitre ne pipe mot à la grosse colère
des Allemands.
Ce n’est que partie remise.
Deux minutes plus tard, Jansen commet l’irréparable sur Holzenbein
in the box et cette fois l’homme en noir accorde la sanction suprême.

Le Maôiste de service et grande gueule Paul Breitner se charge de
remettre son équipe à flot.

Les occasions se multiplient pour les Allemands.
Jongbloed, le portier batave doit s’interposer à plusieurs
reprises face aux tentatives adverses.

Vogts, qui se crée une occasion en or massif notamment, en lui
tirant dessus à bout portant dans les minutes suivantes.
Et çà déboule, çà déboule…qui
d’une nouvelle percée d’Hoeness écartée
de justesse, qui d’une balle piquée on ne peut plus vicieuse
de Beckenbauer sur un coup franc.
Grabowski s’amuse avec Krol.
Hoeness inquiète de nouveau Jonbloed.
Les Hollandais sont véritablement à la peine.

Seul Johnny Rep manque de redonner l’avantage aux oranges, mais
Maier évite le pire.
C’est la seule véritable occasion des bataves en cette première
mi-temps…trop peu pour une équipe qui souhaitait littéralement
HUMILIER leurs adversaires sur leur sol.
Et l’inéluctable arrive à deux minutes du repos salvateur.
Rainer Bonhof sur son aile droite adresse un centre à destination
de Gerd « Der Bomber » Muller.
Jusqu’à maintenant, on ne l’a pas trop vu-si ce n’est
les 4 fers en l’air suite au traitement particulier que lui prodiguent
l’ami Haan & son acolyte Rijsbergen.
Fidèle à sa réputation, le canonnier teuton s’empresse
d’expédier le ballon au fond des filets.

En toute logique, la RFA mène 2-1 à la pause.
Signe de la nervosité qui s’est emparé des bataves
: le carton jaune absolument stupide que reçoit JC à la
rentrée aux vestiaires en s’en prenant à l’arbitre.
Et çà, faut pas JC...faut pas…my Taylor is not rich
et n’apprécie vraiment pas que tu l’ouvres…
-« Non, Bouboule…ne broie pas ta radio…ne t’énerve
pas ainsi...il reste encore la seconde mi-temps ! » supplie-t-on
à l’encontre de notre costaud, tétanisés que
nous sommes sur « … cette plage ensoleillé…coquillage
et crustacés…lalalala…. »
Nous sommes persuadés que tout va rentrer dans l’ordre des
choses ensuite…il ne peut en être autrement…pas possible
çà…
C’est avec l’envie de revenir à la marque que les Hollandais
attaquent pied au plancher à la reprise.
Ils auront beau faire, rien n’y fera.
Entre Breitner qui sauve sur sa ligne et Maier qui commence un festival
(plusieurs arrêts déterminants dont une balle sauvée
on se demande encore comment sur un missile de Neeskens, suite à
un centre de René Van de Kerkhof qui a remplacé un invisible
Rensenbrink)
Pas vraiment l’amour fou entre Johan II et l’ami Sepp.


L’indolent Rep tirera encore au ras du poteau. Et puis c’est
tout…
Les Allemands assureront le résultat. Impérial Beckenbauer
qui commande sa défense de main de maître et n’hésite
pas à relancer LE contre meurtrier qui scellera le match.

En pointe, Hoeness & Muller emmerdent en permanence la défense
Hollandaise dès qu’une balle exploitable se présente
à eux.
Et JC, me direz-vous ?
Bah…il a beau se démener…rien n’y fait !

Le football total estampillé Gouda & Tulipe s’est liquéfié
devant la rigueur Allemande.
Fin du match. La RFA est championne du monde conte toute attente et rejoint
20 ans après, dans l’Histoire du football, Fritz Walter &
Co.
Kaiser Franz brandit le trophée sous l’œil incrédule
et éberlué des Oranges.

Ah Johan…Johan…pourquoi tant de suffisance et de mépris
?
Ce pêché d’orgueil dont tu as fait preuve avec tes
potes a précipité votre chute du piédestal sur lequel
les amoureux du foot vous avaient placés.
Et la victoire Allemande fut le déclencheur d’un certain
ressentiment, du minot que j’étais alors, envers le football
teuton.
Je ne savais pas encore que 2 ans après ma tristesse serait encore
plus grande avec Glasgow 76 …et surtout Séville 82…
Au coup de sifflet final, un galet brandi par Bouboule eut tôt fait
de renvoyer dans les limbes de la non-existence ce satané poste
de radio qui nous avait pourri la journée.
On s’en foutait tous.
Un cours de « Science Naturelle » nous attendait à
la flotte…SPLACH…PLOUF…
José Mendizabal
* Avant la finale, la Hollande présentait le parcours suivant :
5 victoires et 1 nul, avec 14 buts marqués pour 1 seul d’encaissé.
** Clin d’œil au roman Orange Mécanique d’Anthony
Burgess, il va de soi…
*** Lors de la saison 72/73, en ¼ de finale aller de la C1, l’Ajax
écrasa le Bayern de Munich 4-0…match ou figurait déjà
12 joueurs (6 de chaque côté) ayant participé à
la finale RFA-Hollande 1974.
**** La RFA a remporté le Championnat d’Europe des Nations
en 1972, en battant l’URSS 3-0.
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