[ FC Nantes / AS Saint-Étienne, de 1970 à 1984 : une certaine idée du football ] -> 1ère partie

   
  Maxime Cogny a réalisé un mémoire sur le thème de la rivalité entre le FC Nantes et l'AS Saint-Etienne sur la période 1970 - 1984.
Il nous expose ici le fruit de ses recherches, en voici la première partie.
 
Introduction:

D’un côté le FC Nantes. De l’autre l'AS Saint-Étienne. Le palmarès de ces deux clubs est éloquent sur la période considérée. En quatorze ans, les Verts et les Jaunes trustent à eux deux sept titres de champion de France. La renommée des Nantais n'est pourtant pas celle des Stéphanois, qui marquent les esprits en 76. Leur parcours européen suscite la passion dans tout le pays : Saint-Étienne qui gagne, c'est le sport français qui sort du marasme.
A l'échelle nationale en revanche, Nantes et Saint-Étienne sont de vrais rivaux. 1970 à 1984 représente avant tout quatorze années de rivalité -sportive- pour l'hégémonie sur le football français. Les joueurs en témoignent dans la première partie.
Nantes et Saint-Étienne, ce sont aussi et surtout deux villes, deux régions et deux philosophies différentes - pour ne pas dire opposées. Les deux clubs avaient pourtant le même objectif : atteindre le sommet. Comment des valeurs extra-footballistiques forgent-elles la manière d'évoluer sur le terrain ? En quoi la réussite de ces clubs est un modèle ? Décryptage dans la seconde partie.
Ce duel direct ou à distance entre les deux équipes phares du championnat de France a fait couler beaucoup d'encre dans les journaux. Le traitement journalistique est à la fois très proche et très éloigné de ce qui se fait aujourd'hui. Une sélection d'articles de presse de l'époque, compilés dans la troisième partie, en atteste.
Enfin, les quelques morceaux musicaux achèveront cette plongée dans le foot d'avant.

 

Paroles de joueurs (1ère partie):
 


« Je suis fier d’avoir vécu ça »



Thierry TUSSEAU signe son premier contrat pro en 1973 au FC Nantes. Il y restera dix ans, avant de partir pour les Girondins de Bordeaux. L’ancien défenseur international gère aujourd'hui la société de négoce Bordeaux et Vins de France.

Un match contre Saint-Étienne, c’était comment ?
C’était un match entre les clubs phares de l’époque. Un match attendu qui mobilisait toute une région. Toute la semaine, avant la réception de Saint-Étienne, on sentait l’euphorie qui montait : ça commençait dès le lundi, il y a avait la presse, et en ville les gens ne parlaient que de ça. Pour les autres rencontres, c’était différent. Quand on jouait Saint-Étienne, à domicile, le plus souvent, on gagnait. J’en reparle encore avec des anciens stéphanois.

Il y a un match qui vous a particulièrement marqué ?
(sourire) La demi-finale de Coupe de France 1977, forcément ! A l’époque, elle se jouait en matches aller et retour. A l’aller, on l’emporte 3 à 0 et j’ai une balle de 4 à 0... à dix minutes de la fin. Mais Curkovic (le gardien de l’ASSE, de 72 à 80, ndlr) m’a empêché de marquer. Son attitude m’avait surpris… Je me présente devant lui, et Curko reste stoïque, comme un piquet. Je freine ma course, quelqu’un revient sur moi… Il n’y a pas eu but. Le match retour avait lieu quinze jours après. Le public nous voyait déjà en finale.

Et au retour…
Au retour, dans le vestiaire, lors de la causerie d’avant match, Jean Vincent nous a demandé comment on voyait ce match, ce que pouvait être le scénario idéal. Jean Vincent était un entraîneur qui était joueur dans l’âme. Nous lui avons répondu : en marquant un but dans le premier quart d’heure.

Puis ?
Après dix minutes de jeu, Amisse déborde sur le côté droit du terrain, ce qui était rare (sourire). Il arrive vers la ligne de corner, et centre pour Pécout. C’était donc un centre en retrait ! Pécout marque. Silence dans le stade. Mais l’arbitre siffle hors-jeu ! On a bien contesté mais…
3 à 0 à la fin du match, donc prolongations. C’était chaud. Si je me rappelle bien, à la fin de la première, le score n’a pas bougé. Coup-franc de Michel, on marque. Je ne me souviens plus comment Saint-Étienne marque son quatrième but. Mais à ce moment-là il reste quatre à cinq minutes de jeu ! Le stade pousse. Et Revelli tape le ballon avec l’arrière de la tête (mime), lobe Bertrand-Demanes…Alors-là…
Ce match restera gravé à jamais dans nos têtes. On en parle encore entre nous. C’est vraiment un fait marquant. Les gens m’en parlent de ce match, mais toujours du dernier but de Saint-Étienne et jamais du but qui nous est refusé au bout de dix minutes.

Quel souvenir avez-vous de Geoffroy-Guichard ?
Je me rappelle qu’il fallait aller s’échauffer sur un autre terrain, et longer la tribune. Même s’il y avait une vive rivalité, c’était bon enfant, sans l’agressivité qu’il peut y avoir aujourd’hui dans beaucoup de stades. C’est justement à partir de cette demi-finale retour que le public stéphanois a scandé « Les Canaris sont cuits, cuits, cuits… »

A Nantes, le stade Marcel-Saupin était moins « chaud » ?
(dubitatif) Il n’était pas rare, quelle que soit l’équipe que nous recevions, qu’il y ait 30000 spectateurs. Ils étaient très proches du terrain. Donc beaucoup d’équipes craignaient ce stade. Si en plus, nous étions en forme, c’était l’enfer pour l’adversaire. Saint-Étienne savait, encore plus après la Coupe d’Europe, qu’en y venant ils encaisseraient plusieurs buts.

Les deux clubs étaient donc vraiment opposés ?
Oui. C’étaient deux gestions différentes, deux régions différentes. Mais aussi deux jeux différents : intrinsèquement, on était plus forts. Eux, c’était du costaud, plus du physique, plus une équipe de contre.

Pourquoi si peu de transferts entre les deux équipes ?
C’était incompatible ! Les deux clubs avaient des mentalités différentes, c’étaient les clochers à l’époque. Aujourd’hui, ça n’existe plus.

Comment avez-vous vécu l’épopée des Verts en 1976 ?
On était les premiers supporters des Verts. On se connaissait au travers des matches en équipe de France. Je me souviens même que nous étions allés les voir jouer à Liverpool, le match où Bathenay avait tiré un superbe coup-franc. Ils avaient été éliminés je crois (victoire 3 à 1 des Anglais, ndlr). Anfield Road, c’était chaud aussi !

Jouer ensemble en équipe de France et se retrouver face à face en club, est-ce que c'était gênant ?
Pas du tout. Les matches étaient de rudes combats, avec de l’engagement, mais après, on oubliait.

Si on devait comparer le football de cette époque et celui d’aujourd’hui…
(il coupe) Je n’aime pas comparer, ça ne sert pas à grand chose... Disons que c’est différent.

Vous aviez moins de pression ?
On en avait de la pression, mais une pression sportive. Il y avait moins d’importance au financier. Aujourd’hui, le football, on en parle tous les jours, on veut tout savoir… Le foot est le reflet de la société.

Êtes-vous nostalgique de cette période ?
Pas nostalgique du tout ! Mais j’en parle avec grand plaisir (sourire). Et avec fierté... Oui, je suis fier d’avoir vécu ça.

 

« Contre Nantes, c’était un second derby »



Gérard FARISON est un Stéphanois pur souche. Arrière latéral gauche, il évolue à l’ASSE de 1964 à 1980 et met fin à sa carrière à l’âge de 36 ans. Aujourd’hui il vit à Saint-Raphaël, et ne revient presque jamais à Geoffroy-Guichard. "L’inusable, le vétéran stéphanois fut encore l’un des meilleurs de son équipe : vigilant, correct, très offensif, il aurait pu marquer un but. Saint-Etienne perdra beaucoup avec le départ de Farison, joueur tout à fait exemplaire", déclarait le quotidien L'Equipe après la demi-finale de Coupe de France 77.

Quel souvenir gardez-vous des confrontations face au FC Nantes ?
C’étaient des matches entre deux équipes qui voulaient dominer le championnat, avec beaucoup de motivation des deux côtés. Il fallait toujours montrer qu’on était les meilleurs. Mais on aimait bien ce genre de rencontre, car les deux équipes jouaient bien au ballon. Là, les deux équipes jouaient pour gagner ; il arrivait souvent que les autres jouent pour ne pas perdre. Les Nantais faisaient circuler le ballon. Quand ils jouaient à Marcel-Saupin, ils avaient une motivation supplémentaire. C’étaient des matches durant lesquels on prenait du plaisir.

Dans quel état d’esprit se déroulaient ces rencontres ?
C’était assez engagé, mais les deux équipes se respectaient. En général, il y avait très peu d’incidents. Beaucoup de joueurs évoluaient ensemble en équipe de France. Pendant les stages, on se branchait… C’était très sain. (Gérard Farison compte une sélection en équipe de France, c’était en 76 face à la Pologne. Il a disputé un autre match sous les couleurs tricolores, non comptabilisé cette fois : il s’agissait d’une rencontre amicale contre le Borussia Mönchengladbach).

L’ambiance à Marcel-Saupin ?
C’était un peu la même ambiance qu’à Saint-Étienne, un stade archi-comble…Ils refusaient même des gens. Ce match, c’était le match de l’année, celui qu’il fallait gagner… comparable au derby face à Lyon. C’était un second derby en fait, même si Nantes était évidemment plus loin. Nos rivaux, à cette période, c’était Lyon, Marseille, PSG et Nantes, parce qu’ils voulaient dominer le championnat.

Un match face à Nantes vous a particulièrement marqué ?
En Coupe de France, où nous avions gagné 4 à 1 au retour…

C’était une demi finale, vous aviez gagné 5 à 1...
Ah oui ! Je me souviens aussi, pour l’un de mes premiers matches, avoir joué contre Paul Courtin, à Marcel-Saupin. Après le match, il s’était conduit en vrai gentleman. Il avait déclaré dans la presse que j’avais fait un bon match. Ça m’avait fait plaisir.

Est-il possible, selon vous, de dresser des parallèles entre ces deux clubs ?
Ces clubs reposent d’abord sur deux bons centres de formation. Ils se sont appuyés dessus pendant longtemps. Même si globalement, à Saint-Étienne, nous gardions la même ossature. On pensait plus au maillot que maintenant. Les joueurs étaient au club depuis très jeunes. On se trouvait les yeux fermés. Un derby aujourd’hui n’est par exemple plus le même. Les joueurs sont moins concernés qu’à notre époque.

Pourquoi si peu de transferts entre les deux clubs ?
D’abord, à l’époque, il y en avait beaucoup moins. On ne se voyait pas aller chez le concurrent, que ce soit à Lyon ou à Nantes. Et puis on était bien. On faisait partie des deux meilleurs clubs en France, on serait allés chercher quoi ailleurs ?

Vous parliez de formation, Nantes a toujours poursuivi cette voie, tandis que Saint-Étienne s’en est un peu détaché, notamment vers 80 ...
De 70 à 80, il y a eu très peu de transferts de joueurs. Robert Herbin s’appuyait sur un groupe formé d’à peu près quatorze joueurs. Les dirigeants n’ont pas su renouveler les anciens. On a vieilli. C’est vrai qu’il y a eu une cassure vers 1980, mais le problème est apparu dès 1978.

Vous êtes nostalgique de cette période ?
Un peu quand même, oui. Parfois, quand il faut montrer sa carte d’identité et que les gens reconnaissent mon nom, ça fait plaisir. Ce sont des gens qui ont la quarantaine, pas des jeunes…
 


La plupart des photos sont tirées du site FCN Histo, merci à JJJ !

Deuxième partie le mois prochain avec des interview de Maxime Bossis, Patrick Battiston et Marius Trésor.
 


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