[ FC Nantes / AS Saint-Étienne, de 1970 à 1984 : une certaine idée du football ] -> 2ère partie

   
  Maxime Cogny a réalisé un mémoire sur le thème de la rivalité entre le FC Nantes et l'AS Saint-Etienne sur la période 1970 - 1984.
Il nous expose ici le fruit de ses recherches, voici ladeuxième partie.
 

Paroles de joueurs (2ème partie):
 



« Là-bas, tout était fait pour faire peur… »

Maxime BOSSIS signe son premier contrat au FC Nantes en 1972. Il fait ses premiers pas sur les pelouses de D1 au cours de la saison 73-74 contre Saint-Étienne. L’international quitte la maison jaune à l’issue de la saison 84-85. Champion de France à trois reprises (77, 80 et 83), c’est lui qui porte le brassard de capitaine des « Barbus de Lu » lors du sacre de 83. Il est aujourd'hui consultant, relation publique et organise de stages d’été.



Quel souvenir gardez-vous des confrontations Nantes-Saint-Étienne et Saint-Étienne-Nantes ?
C’étaient LES rendez-vous annuels ! Les matches les plus importants, sur lesquels toute une saison pouvait se jouer. Mais ce sont aussi des matches de coupe de France. Ces rendez-vous étaient particuliers, c’était le jeu à la nantaise contre la puissance stéphanoise. Une opposition de style spectaculaire. Il y avait parfois de l’animosité, mais surtout du respect. Je me rappelle, pour mon premier match contre Saint-Étienne, avoir marqué un but sur une frappe de trente mètres dans la lucarne de Curkovic. On gagnait plus souvent à domicile. A l’inverse, on perdait à Saint-Étienne. Ca donnait vraiment lieu à de beaux matches.

Beaucoup de joueurs qui composaient les deux équipes se connaissaient bien. N’était-ce pas gênant ?
C’est vrai que beaucoup de joueurs évoluaient en équipe de France, c’était la période de la Coupe du Monde 78 en Argentine, avec pas mal de tournées à l‘étranger. Quelques années avant, nous étions plusieurs à avoir fait notre service militaire ensemble, au bataillon de Joinville. Je sais que j’étais très copain avec Rocheteau. Il était ailier droit, moi arrière latéral gauche, donc c’était mon vis-à-vis direct. Inconsciemment, je pense que je n’avais pas la même attitude, peut-être plus de mal à aller au contact.

Vous vous seriez vu jouer à Saint-Étienne ?
A l’époque, on était dans un club, ce n’était pas l’un ou l’autre : je me souviens, alors que j’étais encore stagiaire à Nantes, que Pierre Garonnaire (numéro 2 du club forézien et recruteur, ndlr) m’avait contacté pour que je vienne à Saint-Étienne. Mais j’ai dit non, ce n’était pas pensable. On était ou à Nantes, ou à Saint-Étienne, pas les deux. Les Verts, c’étaient des groupes de supporters un peu partout en France. Les puristes aimaient les Nantais.

Et l’ambiance ?
Deux ambiances à l’anglaise. Même si à Saint-Étienne, le foot représente plus qu’à Nantes. C’était terrible là-bas, un boucan d’enfer. Le public était plus proche de la pelouse… Je me souviens que nous devions aller nous échauffer sur un autre terrain avant le match. Et il fallait passer derrière les tribunes, où les supporters se retrouvaient avant la partie. Là-bas, tout était fait pour faire peur.

En 1976, c’est la fameuse épopée des Verts en Coupe d’Europe. Comment le vivez-vous, de Nantes ?
On était supporters des Verts en 76 ! C’était justement la période où j’effectuais mon service militaire, au bataillon de Joinville. Avec Platini et bien d’autres, on se réunissait pour voir les matches. Saint-Étienne était un concurrent sur le plan national, mais en Coupe d’Europe, on ne le voyait pas de cette façon. Les Verts ont marqué les esprits parce que c’étaient les premiers à faire ça après Reims. Toute la France était derrière eux ! Nous, il y a bien eu Valence en 80 (demi-finale de Coupe des coupes face au club de Bonhof et Kempes, remportée 2 à 0 à l’aller, perdue 4 à 2 au retour, ndlr), mais même si nous étions respectés, il faut bien dire qu’il n’y avait pas autour de nous le même engouement.

Nostalgique de cette époque ?
(Léger soupir) On ne peut être que nostalgique d’une période où on est jeune, où on fait un métier qu’on aime… Le temps passe vite… À une allure terrible. On sait que l’on ne vivra plus ce genre de choses, que c’est une autre vie qui a commencé.

Les gens vous parlent des matches face à Saint-Étienne ?
Pas si souvent… Non, pas vraiment en fait, lorsque les gens me parlent du passé, c’est surtout pour les matches internationaux.

Quel regard portez vous sur le football aujourd’hui par rapport à cette époque ?
Il y a eu une évolution énorme dans le contexte. Les intérêts médiatiques et financiers ne sont plus les mêmes. Sur le terrain, les joueurs sont mieux préparés, même si je pense que techniquement, à cette époque, les joueurs étaient meilleurs. Le milieu du foot a beaucoup évolué. Aujourd’hui les joueurs ont une approche carriériste. Avant, on appartenait à un club, on y restait. Le président venait nous voir, et nous disait : « tiens, tu fais construire en ce moment… Ça te dirait de resigner ? » Et on resignait.

Le dernier match à Marcel-Saupin, le 13 avril 1984, et la victoire 1 à 0 contre les Verts, qui sont relégués en deuxième division, vous vous en souvenez ?
Pas du tout ! C’est vrai que c’est un beau clin d’œil… Je me rappelle aussi qu’avant de signer mon premier contrat, j’avais participé à la finale du concours des jeunes footballeurs, à Paris (il avait fini en 37ème position, ndlr). Et le soir, nous étions invités à la finale de la Coupe de France… C’était en 1970, les finales avaient encore lieu à Colombes… Ce jour-là, nous avions vu Nantes perdre 5-0 contre Saint-Étienne.

 

« Content de l'avoir vécu ...»




Patrick BATTISTON, joueur de l’AS Saint-Étienne de 1980 à 1983, est transféré de Metz en 1980. Il est champion de France au cours de sa première saison dans le Forez. Finaliste de la Coupe de France 1982, il quitte Saint-Étienne pour signer un long bail en Gironde. Patrick Battiston est aujourd'hui responsable du centre de formation des Girondins de Bordeaux et entraîneur de l’équipe réserve du club.

Vous avez joué trois saisons dans le Forez, quel souvenir gardez-vous des confrontations Nantes-Saint-Étienne et Saint-Étienne-Nantes ?
Un souvenir de matches toujours accrochés et très serrés. C’étaient deux équipes qui terminaient toujours en tête du championnat. Non pas que ces matches étaient particulièrement tendus, mais il y avait une certaine effervescence. Les joueurs se connaissaient bien, car ils composaient l’ossature de l’équipe de France. Les deux stades se ressemblaient, avec un petit terrain, des supporters proches de la pelouse… Oui, c’était vraiment ça : pas d’animosité dans le jeu, mais une rivalité assez saine. Avec pour enjeu l’hégémonie sur le foot français. C’était un peu l’équivalent des Bordeaux-Marseille des années 80, ou des Paris-Marseille des années 90.

Une anecdote en particulier ?
Oui… Je me rappelle, lors d’un match à Saupin, d’un joueur de Nantes qui avait fait passer le ballon entre les jambes de Platini. Il ne l’avait même pas fait exprès. Mais ce joueur avait levé les bras en direction du public, qui l’a applaudi… Alors qu’il n’y avait même pas petit pont ! Ça montre jusqu’à quel point peut aller l’envie d’écraser l’adversaire.

Ce joueur, c’était qui ?
Je le garde pour moi… (sourire)

Pourquoi avoir choisi Saint-Étienne à cet instant dans votre carrière ?

Tout simplement parce que c’était la meilleure équipe en France à cette époque ! A Nantes, les joueurs étaient plus souvent issus du centre de formation. A Saint-Étienne, nous venions d’horizons différents. Et puis les Verts, c’était le mythe, les années européennes… J’avais été contacté par eux, mais pas par Nantes.

Selon vous, comment expliquer cet engouement autour de l’ASSE ?
Je pense que ce qui a marqué les gens, c’étaient les renversements de situation, en Coupe d’Europe notamment. Des moments épiques ! On ne pouvait être que pour Saint-Étienne. Une région ouvrière avec des joueurs généreux capables d’enfiler le bleu de chauffe, se sublimer dès qu’il le fallait… C’était la seule équipe française à avoir fait ça. Nantes a joué en Coupe d’Europe, mais ce n’était pas la même chose.

Quatre ans seulement après la fameuse épopée, y avait-il de la pression sur vos épaules, le poids du passé n’était-il pas lourd à porter ?
Pas du tout. Nous n’avions pas de pression. Vous savez, il y a des équipes qui jouent pour ne pas perdre. Nous, au contraire, on ne jouait que pour gagner. C’est un état d’esprit assez révélateur.

Peut-on comparer le football de cette époque avec celui d’aujourd’hui ?
Non, comparer c’est difficile. Mais ce que je crois, c’est que Saint-Étienne était un club avant-gardiste. Notamment du point de vue des structures et de l’organisation. Nous disposions par exemple de terrains d’entraînements synthétiques… Et puis nous jouions des matches amicaux internationaux ! Je me rappelle, en 1980, avoir pris l’avion pour Rimini, et joué un match contre l’Inter de Milan. Aujourd’hui, c’est monnaie courante, mais à l’époque, seule l’ASSE faisait ça. Nous avions même joué un match amical contre la sélection nationale roumaine. Les autres clubs ont suivi. Tout le monde s’est inspiré de Saint-Étienne. Et même si je n'y avais jamais joué, je dirais la même chose.

Êtes-vous nostalgique de cette période ?
(Soupir) Je ne dirais pas nostalgique... Mais plutôt content de l'avoir vécue. Je m’en souviens par flashes… Nantes, c’étaient des matches à piment, avec des joueurs de tempérament. Mais ça restait dans le domaine du raisonnable. Bizarrement, je me souviens beaucoup plus de mes matches face à Nantes ou au PSG, quand je jouais à Bordeaux et non plus à Saint-Étienne.
 

« Saint-Étienne ? Une machine à gagner »




Marius TRÉSOR évolue d’abord à Ajaccio (70 à 72), à Marseille (72-80), puis à Bordeaux (80 à 84). L’ancien international qu'il est (74 sélections) donne son avis sur les deux clubs que sont le FC Nantes et Saint-Étienne. Il occupe aujourd'hui le poste d'attaché de presse chez les Girondins de Bordeaux.

Nantes, Saint-Étienne, vous avez affronté ces deux équipes à de nombreuses reprises au cours de votre carrière. Quelles étaient leurs principales caractéristiques selon vous ?
Que ce soit avec Ajaccio, Marseille ou Bordeaux, j’ai rarement gagné à Saint-Étienne. C’étaient souvent des matches nuls, car là-bas, ils dominaient grâce à leur jeu. Même leurs individualités étaient un ton en dessus. Ils avaient un suivi des joueurs très performant, un entraîneur et un staff très performants. Saint-Étienne était complet dans tous les compartiments du jeu. Nantes était une équipe plus abordable, qui baissait le pied plus facilement.

Et si on devait comparer les deux stades ?
L’avantage était là aussi à Saint-Étienne. A Saupin, il n’y avait pas un climat agressif, tandis qu’à Geoffroy-Guichard, les gens vous faisaient vraiment sentir où vous étiez. Ça donnait un avantage considérable aux Verts. Le public faisait peur. Quand on parle de leurs renversements de situation, c’était aussi grâce à leur public. Il y avait deux seuls clubs où le public pouvait avoir une telle influence : Saint-Étienne et Marseille.

Un match en particulier vous a marqué face à Nantes ou Saint-Etienne ?
Oui, je me souviens d’un match à Nantes, lors de la saison 81-82, je jouais avec Bordeaux et nous avions joué là-bas sans gardien de but… nous avions perdu 6 à 0. Alain Giresse avait joué dans les buts en première mi-temps, moi en seconde. (La journée précédente, le gardien de but girondin, Pantelic, avait fait l’objet d’un rapport de l’arbitre pour le match Bordeaux - Lens. Pour montrer son mécontentement, Claude Bez, le président bordelais avait fait jouer son équipe sans gardien le week-end suivant à Nantes, ndlr). Cette défaite avait été un peu éclipsée, parce que la même journée, Saint-Étienne avait battu Metz 9 à 2.

Et à Saint-Étienne ?
Là-bas, je me rappelle par exemple de la façon de jouer de ses défenseurs lorsqu’ils étaient en difficulté : un jour, Albert Émon était parti au but, les défenseurs s’étaient arrêtés en levant le bras, comme pour signaler un hors-jeu. L’arbitre de touche avait levé le drapeau et il n’y avait pas eu but. Je me souviens aussi des pitreries de Salif Keita (attaquant malien, surnommé "la Panthère", qui débarque en 67 dans le Forez, ndlr) devant le président Rocher, alors qu’il venait de marquer un but à Geoffroy-Guichard. C’était lors de la saison 72-73, il venait d’être transféré à l’OM.

Vous auriez-pu jouer dans l’une des deux équipes ?
J’ai failli aller à Nantes après Ajaccio. En 72, avec l’équipe de France, nous avions fait une tournée au Brésil, ce qu’on appelait la mini-coupe du Monde, car il y a avait de bonnes équipes. A cette occasion, j’avais rencontré des dirigeants du FC Nantes, et j’avais discuté avec le président, Louis Fonteneau. J’étais encore sous contrat avec Ajaccio, mais le club avait besoin d’argent, et cela ne dépendait pas de moi. Cette année-là, j’ai été en contact avec Nice, le Paris FC, mais jamais avec Saint-Étienne. En plus j’aurais été concurrent avec Lopez au poste de libéro. Finalement, après un concours de circonstances, alors que j’étais tout proche de Nice, je me suis retrouvé à l’OM. Saint-Étienne n’était pas une équipe qui m’attirait. En Guadeloupe (Marius Trésor arrive en métropole en 1970, ndlr), les équipes que l’on suivait le plus étaient Marseille et Monaco.

Nantes et Saint-Étienne, à cette époque, ce sont aussi deux présidents très différents…
Louis Fonteneau était très aimable, une personne vraiment sympathique, qui n’avait jamais un mot plus haut que l’autre. J’avais vraiment le plus grand respect pour sa façon d’être. Roger Rocher était bien plus en avant, mais quoi de plus normal puisque Saint-Étienne dominait. Le football est ainsi fait que l’on se retrouve vite en première ligne. Saint-Étienne a été dix fois champion de France, et le dernier titre obtenu, c’était encore sous sa présidence.

La demi-finale de 77 entre les deux équipes, vous vous en rappelez ?

(Il réfléchit). Ah oui ! Avec la victoire de Saint-Étienne au match retour. Il faut dire que la Coupe de France n’a jamais réussi à Nantes, sauf contre des équipes plus faibles : Auxerre en 79, mais aussi plus récemment Sedan ou Calais. Saint-Étienne était une machine à gagner. Finalement, ce résultat était normal.

Comment voyez-vous le foot aujourd’hui ? Vous êtes nostalgique de cette période ?
Non… Il ne faut pas vivre avec le passé. Je ne sais pas si aujourd’hui, dans le foot actuel… J’aimais jouer décontracté, les chaussettes baissées, le maillot hors du short. J’aimais tacler, j’ai fait un nombre de tacles dans ma carrière… Je n’ai jamais été méchant sur un terrain, mais pourtant je ne sais pas si aujourd’hui je terminerais un match. Le foot a changé, notamment du point de vue physique. Souvent, avec Patrick Battiston, on dit sous la forme de boutade des choses du genre : « tiens, tu crois que lui, il aurait eu sa place à notre époque ? »

Vous parlez souvent du passé, entre anciens joueurs ?
Non, pas vraiment. Ce sont plutôt les gens qui nous font raconter.


Les photos de Maxime Bossis sont tirées du site FCN Histo, merci à JJJ !

Troisième partie le mois prochain : les facteurs de la rivalité entre les canaris et les verts.
 


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