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Le Tourbillon de N'Djamena est mon club adoptif.
Le terrain d'entraînement de l'équipe était situé
à cent mètres de chez moi, dans la capitale. Mon grand frère,
Jonathan, qui avait onze ans de plus que moi y jouait. Je lui emmenais
ses chaussettes, ses maillots. Il me donnait l'exemple sur le terrain.
Les jeunes joueurs venaient de très loin pour s'entraîner,
moi il me suffisait de marcher une centaine de mètres. J'ai passé
toute mon enfance autour de ce terrain, à Ardjoumal, un quartier
populaire qu'on appelait Harlem City dans ces années soixante-dix.
La
guerre civile au Tchad
Je me rappelle bien plus de son déclenchement, en 1979, que de
mon premier match sous le maillot du Tourbillon. J'ai dû alors me
séparer de ma famille. A partir de cette date, je n'ai jamais vraiment
revécu avec mes parents. J'ai quitté N'Djamena pour fuir
les combats. La capitale était située au confluent entre
les factions du Nord et du Sud. Les affrontements y étaient très
sanglants. Et moi je tenais à la vie ! Ma grande sœur vivait
en province, j'ai donc décidé de fuir N'Djamena pour l'y
rejoindre. A l'époque, chacun suivait sa route pour sauver sa peau.
La guerre n'a pas fait trop de dégâts dans ma famille heureusement,
elle n'a emporté que mon beau-frère. Cette période
me marquera à vie. J'y pense toujours quand je rencontre quelques
difficultés en Europe. Je me dis alors que j'ai connu bien plus
grave, ça m'aide à relativiser…
Le
Tonnerre de Yaoundé
Après avoir passé les années 1979-1985 en province,
je suis revenu à N'Djamena en 1986, pour rejouer au Tourbillon.
En 1988, je décide de partir au Cameroun pour m'imposer un nouveau
défi sportif. Je voulais évaluer mon niveau. A l'époque,
le championnat camerounais était l'un des tous meilleurs d'Afrique.
Abdoulaye Mamat, un international tchadien qui évoluait au Tonnerre
de Yaoundé va me donner ma chance. Le club cherchait un joueur
pour remplacer George Weah, en partance pour Monaco. Abdoulaye a alors
fait le maximum pour m'imposer aux dirigeants du Tonnerre, qui m'avaient
déjà repéré lors d'un tournoi disputé
à N'Djamena. De tels transferts d'un championnat à l'autre
étaient assez rares en Afrique à l'époque. Et George
Weah avait placé la barre très haut. Il me fallait convaincre
les supporters, et justifier la confiance des dirigeants. Je suis très
fier d'avoir réussi à m'imposer, et à prouver que
je pouvais apporter quelque chose de particulier, même si bien entendu
George était irremplaçable. A mon arrivée, les observateurs
camerounais étaient pourtant sceptiques, car j'étais très
maigre comparé aux joueurs locaux. Mais je compensais ce manque
de densité physique par une intelligence de jeu supérieure.
Cette année-là, j'ai marqué 15 buts en championnat
et remporté la Coupe du Cameroun.
La
fin de l'expérience "camerounaise"
A quelques jours d'une demi-finale de Coupe d'Afrique contre le Raja Casablanca,
j'ai eu la douleur de perdre mon frère aîné. Je tenais
à rentrer au Tchad pour les obsèques. Je n'étais
plus en état de jouer. Mais les dirigeants du club refusaient obstinément
de me libérer. Il y eut plusieurs discussions, ils ne voulaient
toujours rien savoir. J'ai décidé de passer outre, d'écouter
mon cœur. J'ai rassemblé quelques affaires dans un sac et
je suis rentré au Tchad. Le Tonnerre faisait désormais partie
du passé. Je me suis trouvé réconcilié avec
moi-même à ce moment là.
Les
débuts à Nantes
Lors d'un stage de la sélection tchadienne en France, à
Saint-Brévin, j'ai été repéré par le
coordinateur technique régional de la Loire Atlantique. Nous avons
visité le centre de formation de la Jonelière et assisté
à deux matches à la Beaujoire. Quatre mois après,
je recevais une invitation du FC Nantes à faire un essai. Le directeur
technique national tchadien, M. Daouda, a alors insisté pour que
j'obtienne un passeport "volant", non nominatif, comme cela
se faisait à l'époque. Ses démarches ont abouti,
et je me suis retrouvé à Nantes pour cet essai, qui s'est
avéré concluant. Mais ce fut difficile au début.
Le club comptait déjà deux étrangers, dont Jorge
Burruchaga. Je n'avais donc aucune chance de jouer. Je m'entraînais
en semaine avec le groupe, mais je n'avais rien à faire les week-ends.
Je restais donc tout seul à la Jonelière, ce qui n'est pas
facile, surtout à 24 ans ! J'ai alors fait une rencontre déterminante,
celle de Christian Chauvin, un Nantais qui avait vécu au Tchad.
Il m'invitait à passer mes fins de semaine chez lui, nous nous
sommes liés d'amitié. Il m'a beaucoup aidé, par exemple
à me retrouver dans les démarches administratives que je
devais faire. Aujourd'hui, je le considère comme mon "grand
frère" !
Jorge
Burruchaga, le gentleman champion du monde
Au moment pour moi de signer professionnel, l'un des étrangers
de Nantes devait libérer une place dans l'effectif pour que je
puisse le faire. Jorge Burruchaga, qui était blessé à
ce moment-là, a accepté de prendre une licence amateurs.
Quelle classe, quelle humilité pour un champion du monde ! Jorge
est quelqu'un d'exceptionnel, il a beaucoup fait pour moi à mes
débuts chez les Canaris, quand j'ai dû le remplacer dans
l'équipe. Le président Bouyer et l'entraîneur d'alors,
Miroslav Blazevic, avaient des doutes quant à ma capacité
à devenir pro. Je devais prendre la succession de Burruchaga, il
faut comprendre que leurs interrogations étaient légitimes.
J'ai donc signé un contrat d'un an renouvelable quatre ans. En
1993, j'ai retrouvé Burruchaga lors d'un match à Valenciennes,
le club où il avait signé. Il était épaté
par mon talent, il trouvait que je jouais encore mieux que ce qu'il espérait
de moi. Recevoir de tels compliments de ce genre de mec, c'est significatif.
Ca fait chaud au cœur ! J'ai alors pris pleinement conscience de
mes qualités, et suis monté en puissance. D'autant que le
club venait de vendre la plupart de ses cadres, et que Coco Suaudeau reconstruisait
l'équipe. Cela a également contribué à ma
montée en grade.
La
reconversion
Aujourd'hui, je m'occupe de supervision et de conseil en recrutement pour
le club où j'ai terminé ma carrière, l'AS Monaco.
Je suis personnellement responsable de la venue en Principauté
de Patrice Evra. Mais en règle générale, mon avis
est uniquement consultatif. Je n'ai pas toujours mon mot à dire
sur les choix du staff, et je le regrette !"
Propos recueillis
par Patrick Juillard
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