[ Japhet N'doram ]

 
Japhet N'Doram, le buteur sensible

A Nantes comme en équipe nationale du Tchad, Japhet N'Doram a laissé une empreinte impérissable. Sur le plan international, appelé à trente-six reprises (13 buts) avec la sélection de son pays, N’Doram n’aura jamais eu le loisir de disputer la Coupe d’Afrique des Nations ou les éliminatoires pour la Coupe du Monde. Avec 72 buts en sept saisons de première division, le Tchadien restera le buteur emblématique des années Suaudeau, celles du dernier titre national remporté par les Canaris (1995). Après une dernière expérience monégasque gâchée par les blessures, Japhet N'Doram s'est mis au service du club princier, pour lequel il œuvre dans la supervision et le recrutement. Paroles d'un homme sensible.

 
 


Le Tourbillon de N'Djamena est mon club adoptif.
Le terrain d'entraînement de l'équipe était situé à cent mètres de chez moi, dans la capitale. Mon grand frère, Jonathan, qui avait onze ans de plus que moi y jouait. Je lui emmenais ses chaussettes, ses maillots. Il me donnait l'exemple sur le terrain. Les jeunes joueurs venaient de très loin pour s'entraîner, moi il me suffisait de marcher une centaine de mètres. J'ai passé toute mon enfance autour de ce terrain, à Ardjoumal, un quartier populaire qu'on appelait Harlem City dans ces années soixante-dix.


La guerre civile au Tchad
Je me rappelle bien plus de son déclenchement, en 1979, que de mon premier match sous le maillot du Tourbillon. J'ai dû alors me séparer de ma famille. A partir de cette date, je n'ai jamais vraiment revécu avec mes parents. J'ai quitté N'Djamena pour fuir les combats. La capitale était située au confluent entre les factions du Nord et du Sud. Les affrontements y étaient très sanglants. Et moi je tenais à la vie ! Ma grande sœur vivait en province, j'ai donc décidé de fuir N'Djamena pour l'y rejoindre. A l'époque, chacun suivait sa route pour sauver sa peau. La guerre n'a pas fait trop de dégâts dans ma famille heureusement, elle n'a emporté que mon beau-frère. Cette période me marquera à vie. J'y pense toujours quand je rencontre quelques difficultés en Europe. Je me dis alors que j'ai connu bien plus grave, ça m'aide à relativiser…


Le Tonnerre de Yaoundé
Après avoir passé les années 1979-1985 en province, je suis revenu à N'Djamena en 1986, pour rejouer au Tourbillon. En 1988, je décide de partir au Cameroun pour m'imposer un nouveau défi sportif. Je voulais évaluer mon niveau. A l'époque, le championnat camerounais était l'un des tous meilleurs d'Afrique. Abdoulaye Mamat, un international tchadien qui évoluait au Tonnerre de Yaoundé va me donner ma chance. Le club cherchait un joueur pour remplacer George Weah, en partance pour Monaco. Abdoulaye a alors fait le maximum pour m'imposer aux dirigeants du Tonnerre, qui m'avaient déjà repéré lors d'un tournoi disputé à N'Djamena. De tels transferts d'un championnat à l'autre étaient assez rares en Afrique à l'époque. Et George Weah avait placé la barre très haut. Il me fallait convaincre les supporters, et justifier la confiance des dirigeants. Je suis très fier d'avoir réussi à m'imposer, et à prouver que je pouvais apporter quelque chose de particulier, même si bien entendu George était irremplaçable. A mon arrivée, les observateurs camerounais étaient pourtant sceptiques, car j'étais très maigre comparé aux joueurs locaux. Mais je compensais ce manque de densité physique par une intelligence de jeu supérieure. Cette année-là, j'ai marqué 15 buts en championnat et remporté la Coupe du Cameroun.


La fin de l'expérience "camerounaise"
A quelques jours d'une demi-finale de Coupe d'Afrique contre le Raja Casablanca, j'ai eu la douleur de perdre mon frère aîné. Je tenais à rentrer au Tchad pour les obsèques. Je n'étais plus en état de jouer. Mais les dirigeants du club refusaient obstinément de me libérer. Il y eut plusieurs discussions, ils ne voulaient toujours rien savoir. J'ai décidé de passer outre, d'écouter mon cœur. J'ai rassemblé quelques affaires dans un sac et je suis rentré au Tchad. Le Tonnerre faisait désormais partie du passé. Je me suis trouvé réconcilié avec moi-même à ce moment là.


Les débuts à Nantes
Lors d'un stage de la sélection tchadienne en France, à Saint-Brévin, j'ai été repéré par le coordinateur technique régional de la Loire Atlantique. Nous avons visité le centre de formation de la Jonelière et assisté à deux matches à la Beaujoire. Quatre mois après, je recevais une invitation du FC Nantes à faire un essai. Le directeur technique national tchadien, M. Daouda, a alors insisté pour que j'obtienne un passeport "volant", non nominatif, comme cela se faisait à l'époque. Ses démarches ont abouti, et je me suis retrouvé à Nantes pour cet essai, qui s'est avéré concluant. Mais ce fut difficile au début. Le club comptait déjà deux étrangers, dont Jorge Burruchaga. Je n'avais donc aucune chance de jouer. Je m'entraînais en semaine avec le groupe, mais je n'avais rien à faire les week-ends. Je restais donc tout seul à la Jonelière, ce qui n'est pas facile, surtout à 24 ans ! J'ai alors fait une rencontre déterminante, celle de Christian Chauvin, un Nantais qui avait vécu au Tchad. Il m'invitait à passer mes fins de semaine chez lui, nous nous sommes liés d'amitié. Il m'a beaucoup aidé, par exemple à me retrouver dans les démarches administratives que je devais faire. Aujourd'hui, je le considère comme mon "grand frère" !


Jorge Burruchaga, le gentleman champion du monde
Au moment pour moi de signer professionnel, l'un des étrangers de Nantes devait libérer une place dans l'effectif pour que je puisse le faire. Jorge Burruchaga, qui était blessé à ce moment-là, a accepté de prendre une licence amateurs. Quelle classe, quelle humilité pour un champion du monde ! Jorge est quelqu'un d'exceptionnel, il a beaucoup fait pour moi à mes débuts chez les Canaris, quand j'ai dû le remplacer dans l'équipe. Le président Bouyer et l'entraîneur d'alors, Miroslav Blazevic, avaient des doutes quant à ma capacité à devenir pro. Je devais prendre la succession de Burruchaga, il faut comprendre que leurs interrogations étaient légitimes. J'ai donc signé un contrat d'un an renouvelable quatre ans. En 1993, j'ai retrouvé Burruchaga lors d'un match à Valenciennes, le club où il avait signé. Il était épaté par mon talent, il trouvait que je jouais encore mieux que ce qu'il espérait de moi. Recevoir de tels compliments de ce genre de mec, c'est significatif. Ca fait chaud au cœur ! J'ai alors pris pleinement conscience de mes qualités, et suis monté en puissance. D'autant que le club venait de vendre la plupart de ses cadres, et que Coco Suaudeau reconstruisait l'équipe. Cela a également contribué à ma montée en grade.


La reconversion
Aujourd'hui, je m'occupe de supervision et de conseil en recrutement pour le club où j'ai terminé ma carrière, l'AS Monaco. Je suis personnellement responsable de la venue en Principauté de Patrice Evra. Mais en règle générale, mon avis est uniquement consultatif. Je n'ai pas toujours mon mot à dire sur les choix du staff, et je le regrette !"



Propos recueillis par Patrick Juillard

 


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