La génération perdue du football polonais
Écrit par Pascal   
22-05-2007

Si l’équipe nationale de Pologne a fait parler d’elle à partir des années 60 il ne faut pas oublier que l’on jouait déjà au football dans ce pays avant guerre. Dans les années 30 les Aigles allaient prendre leur premier envol. Quatrième des Jeux olympiques de 1936, les Polonais donnèrent du fil à retordre aux artistes Brésiliens lors de la coupe du monde 1938. Un bel avenir était promis à cette génération de jeunes joueurs polonais emmenée par le héros national Ernest Wilimowski. Malheureusement le second conflit mondial réduisit tout à néant.

En ce 5 juin 1938, en huitièmes de finale de la coupe du monde, les artistes Brésiliens de Léonidas sont opposés aux Polonais du talentueux Wilimowski. Elle en a parcouru du chemin cette équipe de Pologne depuis son premier match (et sa première défaite) face à la Hongrie en 1921. Les premières années de la sélection ont été difficiles avec quelques bons résultats mais également quelques revers cinglants en particulier une défaite cuisante (5 à 0) face à la Hongrie lors des Jeux Olympiques de Paris en 1924. Peu à peu les résultats vont s’améliorer. Les premiers effets de cette embellie ont lieu dans les années 30. Si elle rate sa qualification pour la coupe du Monde 1934, la Pologne se rattrape deux ans plus tard avec une brillante participation aux Jeux Olympiques de Berlin. Après avoir battu successivement la Hongrie (3 à 0) puis la Grande Bretagne (5 à 4) la Pologne s’incline en demie finale face à l’Autriche (3 à 1). Lors du match de classement les Aigles ratent de peu le podium en s’inclinant par 3 buts à 2 face aux Norvégiens. Dans les rangs  polonais le grand absent du tournoi olympique est l’attaquant vedette Ernest Wilimowski . En raison de son penchant pour les fêtes bien arrosées la fédération polonaise l’a suspendu un an de toute sélection.  Son influence sur le jeu est telle que de nombreux observateurs pensent qu’avec lui la Pologne aurait décroché la médaille d’or.

Ernest Wilimowski


Après cette quatrième place olympique la Pologne se qualifie pour sa première coupe du Monde. Elle est donc du voyage en France pour y affronter le Brésil une des équipes favorites du tournoi. Seuls représentants du football des « Amériques » les Brésiliens attirent la curiosité des observateurs car le grand public ne connaît pratiquement rien des ces footballeurs venus de si loin.

Pour ce match important la Pologne aligne l’équipe suivante : dans les buts Madejski le gardien sans club, à l’arrière Szczepaniak le capitaine et Galecki du LKS Lödz, au milieu de terrain Gora, Nyc et Dytko et une ligne d’attaque impressionnante avec Piec, Piatek, Scherfke, Wilimowski et Wodarz.

Près de 15 000 spectateurs garnissent officiellement les tribunes du stade de la Meinau. En réalité ils sont près de 20 000. Une poignée de supporters brésiliens a fait le déplacement. Les Polonais peuvent compter sur le soutien d’environ 2 000 supporters travaillant pour la plupart dans les mines du Nord et de l’Est de la France. Les spectateurs Français ont eux prit fait et cause pour les joueurs d’outre Atlantique.

L’arbitre suédois donne le coup d’envoi de ce match sous une chaleur étouffante qui avantage les « cariocas ». Dès la 18ème minute Léonidas ouvre le score. Moins de cinq minutes plus tard la Pologne égalise sur un pénalty transformé par Scherfke. Les Brésiliens proposent un jeu d’attaque inventif et encore jamais vu en Europe. Ils se détachent par Romeu (25ème) et Peracio (41ème) qui de la tête porte le score à 3 à 1 à la mi-temps.

A la reprise les choses vont changer. Le temps tout d’abord puisqu’à la chaleur succèdent des pluies diluviennes. Léonidas enlève ses chaussures afin de jouer pieds nus dans le bourbier. Monsieur Eklind l’arbitre du match lui demande de se conformer au règlement et de se rechausser. Sur le terrain devenu détrempé et boueux les Brésiliens perdent leurs repères et leur football.  Les Polonais sont eux à leur aise sur ce type de terrain. Alors inexorablement ils remontent au score. Wilimowski sort le grand jeu et marque par deux fois (53ème et 59ème) sur des exploits individuels. A l’heure de jeu les deux équipes sont donc à égalité.

La pluie cesse et comme par enchantement à vingt minutes de la fin Peracio redonne l’avantage à ses couleurs. Les Brésiliens pensent avoir match gagné quand à quelques secondes de la fin de ce match complètement fou Wilimowski égalise une nouvelle fois à la grande joie de ses supporters. Quatre buts partout il faut donc jouer la prolongation.

Dans le temps supplémentaire la pluie se remet à tomber de plus belle. Hélas pour les « blanc et rouge » les Sud américains comptent dans leur rang Léonidas, un joueur exceptionnel, qui score aux 93ème et 104ème minutes. Les Polonais continuent à attaquer et la défense Brésilienne donne quelques signes de fatigue. A deux minutes de la fin de la rencontre Wilimowski marque son quatrième but. Un but qui redonne l’espoir à son équipe. Durant les quelques secondes restant à jouer les Brésiliens ne pensent plus qu’à préserver le score. Wodarz inquiète Batatais sur un coup franc puis Nyc le milieu de terrain tire sur la barre transversale. Monsieur Eklind siffle la fin de la partie qui voit donc le Brésil l’emporter par 6 à 5 dans l’un des matchs les plus spectaculaires de l’histoire de la coupe du monde. Cette équipe polonaise de 25 ans de moyenne d’âge n’a pas à rougir de sa défaite et personne ne doute de son avenir brillant.

Attaque sur le but de Majedski


Au cours de cette rencontre Wilimowski, auteur de quatre buts, a donc fait plus que jeu égal avec les Brésiliens. Né le 23 juin 1916, le jeune Ernest Pradella est adopté, à l’âge de treize ans, par Monsieur Wilimowski son beau père. Après avoir joué à Katowice dans les équipes de jeunes il intègre rapidement le Ruch Chorzow le club phare polonais d’avant guerre. Il débute en première division à 18 ans et va jouer six années pour ce club avec 4 titres de champion à la clé. Wilimowski compense son gabarit modeste (1m72 ; 68 kg) par une rapidité, une adresse et une technique exceptionnelles. Lors de son passage à Chorzow il va marquer la bagatelle de 113 buts pour 86 matchs avec quelques records à la clé. Par exemple ses 10 buts marqués en championnat face à Lodz en 1939 ou bien un triplé réalisé en trois minutes la même saison face à Cracovie. Cette saison 1938-1939 sera exceptionnelle pour lui avec 26 buts en 13 journées d’un championnat qui n’ira pas à son terme.

Compte tenu de ses qualités Wilimowski est rapidement appelé en sélection. Il y fait ses débuts face au Danemark un mois avant son 18ème anniversaire un record à l’époque. S’il n’est pas du voyage à Berlin pour les Jeux Olympiques il est présent en France deux ans plus tard  pour la coupe du Monde. Le 27 août 1939 la Pologne affronte la Hongrie à Varsovie. Cinq des joueurs de Strasbourg sont présents pour cette rencontre et quatre joueurs polonais honorent leur première sélection. Les Hongrois finalistes de la coupe du monde 1938 forment une des meilleures équipes du moment. Les Magyars sont battus 4 à 2. En réalisant le triplé à la 75ème minute Wilimowski marque son 21ème but pour la Pologne. Il ne sait pas encore qu’il vient d’honorer, à 23 ans, sa 22ème et dernière sélection pour son pays natal.

Quelque jours plus tard les troupes hitlériennes envahissent la Pologne plongeant le pays puis le monde entier dans un indescriptible chaos. L’équipe alignée à Strasbourg à laquelle les observateurs prédisaient un si bel avenir est stoppée net dans son élan par le second conflit mondial.

Durant la guerre Edward Madejski le gardien participe à des tournois clandestins de football (tous les sports en Pologne sont interdits aux non-allemands). Arrêté par la Gestapo pour conspiration contre l’ennemi il passe plusieurs mois en prison dans l’attente de sa mort. En 1956 il est à nouveau emprisonné par le gouvernement communiste Polonais qui l’accuse d’espionnage pour le compte des régimes de l’Ouest. Il meurt le 15 février 1996 à Bytom seul et oublié de tous.

Wladyslaw Szczepaniak le capitaine est le seul joueur présent à Strasbourg à avoir porté à nouveau le maillot frappé de l’Aigle après la guerre. Son compère de la défense Antoni Galecki intègre les rangs de l’armée polonaise lors de l’offensive Allemande de août 1939. Fait prisonnier il séjourne dans un camp en Hongrie. Il s’évade et repart se battre sous l’uniforme de l’Armée Polonaise à Tobrouk et Monte Cassino.

Au début du conflit Wilhem Gora signe la Volkliste. Les autorités allemandes offrent la possibilité aux ressortissants polonais, pouvant prouver de leurs ascendances allemandes, de signer la liste des Allemands vivant en Pologne. Avec un choix cornélien à la clé : signer et être considéré par un traître aux yeux des autorités polonaises ou bien ne pas le faire et être considéré comme réfractaires aux idées du Reich. Si Gora signe cette liste c’est avant tout avec l’espoir de pouvoir continuer sa carrière. Il joue pour l’équipe allemande du DTSG Krakau sponsorisée par Oskar Schindler. Enrôlé dans la Wehrmacht il est capturé en Italie par les armées alliées. Il rejoint alors le deuxième corps de l’Armée Polonaise. Après la guerre il revient s’installer en Pologne. Ayant signé la Volkliste il y est considéré comme indésirable et est contraint de s’expatrier en Allemagne où il décède en 1975.

Durant la seconde guerre mondiale Erwin Nyc est appelé dans l’armée Allemande et continue sa carrière de joueur dans les équipes de la Luftwaffe et de la garnison de Berlin. Il retourne en Pologne après guerre et rencontre des problèmes avec le gouvernement polonais qui le considère comme un traître. Les témoignages favorables de joueurs de Cracovie et Varsovie indiquant qu’il aidait les organisations de résistance polonaise lui permettent de s’en sortir.

Ewald Dytko le milieu de terrain signe lui aussi la Volkliste. Enrôlé dans l’armée allemande il est capturé par les Américains en 1944 et est interné dans un camp de prisonnier en Autriche. Après guerre il rencontre des problèmes avec le gouvernement communiste polonais qui s’estompent dès lors qu’il signe une déclaration de loyauté vis à vis de l’Etat Polonais.

L’ailier droit Ryszard Piec prend part à des tournois de sport car les autorités allemandes accordent ce privilège aux « Hauts silésiens ». Les frères Piec (Ryszard et Wilhem) jouent donc au football sous les couleurs du TUS Lipine (ex Naprzod Lipiny).

Léonard Piatek, l’inter droit, signe lui aussi la Volkliste ce qui lui permet de continuer à jouer au football durant la guerre.

Fryderyk Scherfke, l’auteur du premier but polonais de l’histoire de la coupe du monde, est d’ascendance Allemande. Il est donc appelé à se battre pour la Wehrmacht. A la fin de la guerre il est capturé par l’armée Britannique. Relâché en juillet 1945 à Berlin il y termine ses jours en 1983.

Après l’invasion de la Pologne Wilimowski prend la nationalité allemande. Bien que né à Katowice il a été élevé dans la région frontalière de Silésie. Durant sa jeunesse il parle allemand pour la plupart du temps à la maison et à l’extérieur utilise un patois silésien. Durant le conflit il sert dans la police allemande ce qui lui permet d’éviter le service militaire et donc le combat. Il continue à jouer au football au FC Katowice de 1939 à 1941. Les occupants veulent faire de ce club un symbole de la supériorité allemande en Haute Silésie. Les meilleurs joueurs de la région y sont donc incorporés de gré ou de force tels Erwin Nyc, Ewald Dytko et Pawel Cyganek. Wilimowski est devenu un instrument de la propagande nazie. Sepp Herberger le sélectionneur allemand conscient des qualités du joueur le veut dans son équipe. De juin 1941 à novembre 1942 l’attaquant polonais porte le maillot allemand à huit reprises. Il marque treize buts dont un retentissant quadruplé face à la Suisse en octobre 1942. Après la guerre il reste en Allemagne et joue dans différents clubs jusqu’en 1959. Considéré comme un traître par le gouvernement polonais il n’est pas autorisé à retourner dans sa région de Silésie. Lors de la coupe du monde 1974 Wilimowski demande l’autorisation de rendre visite à l’équipe nationale polonaise. Sa demande est refusée.

Gérard Wodarz signe lui aussi la Volkliste et joue au football jusqu’en 1941. Il est ensuite enrôlé dans la Wermarcht et est fait prisonnier en 1944 par les forces alliées. Les Américains le livrent aux forces armées polonaises en Grande Bretagne. Il recommence à jouer au football en Angleterre et en Ecosse avant de rentrer en Pologne ou il joue un dernier match avec son club du Ruch Chorzow en 1946. 
 
Hormis les joueurs présents à Strasbourg beaucoup d’autres ont eu un destin particulier durant la guerre. Jan Wasiewicz s’est battu avec l’armée Polonaise. Après la défaite il s’échappe en Hongrie avant de rejoindre la France pour continuer à se battre sous l’uniforme polonais en France, en Belgique et aux Pays Bas. En reconnaissance des ses services il est honoré des plus hautes distinctions militaires.

 

Jozef Korbas joue deux fois pour la Pologne (face à la Bulgarie en 1937 et contre la Yougoslavie en 1938). Durant la guerre il est arrêté par les nazis et est envoyé à Auschwitz en 1943 puis  dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Il survit à tout cela puis retourne en Pologne à la fin de la guerre. Antoni Lyko l’un des remplaçant de Strasbourg aura moins de chance. Arrêté dans les rues de Cracovie  par la Gestapo il est expédié vers Auschwitz. C’est là qu’il trouve la mort en juin 1941.

Beaucoup de destins brisés par la guerre, un pays complètement détruit physiquement et économiquement font que la Pologne mettra du temps à revenir au meilleur niveau sportif. Il faudra attendre plus de trente ans pour revoir les joueurs au maillot blanc frappé de l’Aigle participer à une phase finale de coupe du monde mais cette histoire là vous la connaissez déjà.

POLOGNE - BRESIL 5:6 (1:3, 4:4, 4:5)
5 juin 1938 (17h00) à Strasbourg, Stade de la Meinau (15000 spectateurs environ)
Arbitre : Ivan Eklind (Suède)
0-1 : Leónidas 18’
1-1 : Scherfke 23’
1-2 : Romeu 25’
1-3 : Peració 44’
2-3 : Wilimowski 53’
3-3 : Wilimowski 59’
3-4 : Peració 71’
4-4 : Wilimowski 89’
4-5 : Leónidas 93’
4-6 : Leónidas 104’
5-6 : Wilimowski 118’

POLOGNE :
Edward Madejski  - Wladyslaw Szczepaniak (c), Antoni Galecki - Wilhelm Gora, Edward Nyc, Edward Dytko - Ryszard Piec, Leonard Piatek, Fryderyk Scherfke, Ernest Wilimowski, Gerard Wodarz
Sélectionneurs : Marian Spoida et Tadeusz Fory

BRESIL :
Algisto Lorenzato (Batatais) - António Domingos da Guia, Arthur Machado - José Mendes Procopio (Zezé), Martim Mércio Silveira (c), Alfonso Silva Guimaraes (Alfonsinho) - José dos Santos Lopes, Romeu Pelicciari, Leónidas da Silva, José Peració, Hércules da Silva Miranda
Sélectionneur : Ademir Pimenta

Equipe de Pologne 1938
Dernière mise à jour : ( 25-05-2007 )